Le spectre d’une maladie infectieuse prenant les proportions d’une pandémie et faisant des dizaines de milliers de victimes dans le monde n’est plus un scénario cauchemardesque théorique. La «maladie X» de l’Organisation mondiale de la Santé est là et, malgré les efforts constants déployés par l’OMS et d’autres pour maintenir cette menace au centre des préoccupations politiques, le monde a en grande partie été pris au dépourvu.
S’il y a d’ores et déjà des leçons à tirer de la pandémie de maladie du coronavirus (COVID-19), l’une d’entre elles est que trop de décisions politiques reposent sur une réflexion à court terme qui fait fi des lois de la nature. La biologie régit l’évolution des organismes, en particulier lorsque nous leur mettons la pression. Face à nos incursions croissantes dans le monde naturel jusque-là préservé, les virus continueront à faire le saut vers l’homme, avec des conséquences dévastatrices. Cela signifie également que dans un contexte d’utilisation inappropriée d’antibiotiques à grande échelle, les infections bactériennes deviendront de plus en plus résistantes aux médicaments. Fait important, cela concerne notamment les infections secondaires liées aux nouveaux virus.
Le lien entre le COVID-19 et les infections pharmacorésistantes est plus troublant que nous n’en avons pour la plupart conscience. Bien qu’ils ne soient pas efficaces contre les virus, les antibiotiques sont fréquemment utilisés chez des personnes atteintes du COVID-19 pour prévenir ou traiter des infections bactériennes secondaires présumées ou confirmées. Selon une étude préliminaire réalisée en Chine, la moitié des patients atteints du COVID-19 décédés présentaient des infections secondaires causant une pneumonie bactérienne, des infections du sang, un sepsis et des infections hospitalières1.
Le lien entre le COVID-19 et les infections pharmacorésistantes est plus troublant que nous n’en avons pour la plupart conscience.
Les antibiotiques sont très demandés et bon nombre de ces infections deviennent plus résistantes aux antibiotiques existants. On s’inquiète par ailleurs de plus en plus de ce que l’utilisation accrue des antibiotiques, associée à des perturbations des chaînes d’approvisionnement, puisse entraîner des pénuries critiques de ces médicaments essentiels en l’espace de quelques mois.
La pandémie du COVID-19 a un autre effet, moins bien compris. Tandis que les pouvoirs publics et les infrastructures sanitaires se concentrent sur la riposte à la pandémie, de nombreux travaux de recherche visant à lutter contre les infections résistantes aux médicaments ralentissent, voire sont interrompus. À cela s’ajoutent la fermeture de laboratoires et, durant la crise actuelle, l’incapacité des gens à participer à des essais cliniques non liés au COVID-19, notamment ceux concernant de nouveaux antibiotiques.
À moyen et long termes, le choc économique engendré par la pandémie pourrait détourner des ressources financières d’investissements critiques dans les systèmes de santé, notamment dans la recherche-développement en matière d’antimicrobiens. Les conséquences seraient catastrophiques – allant de retards significatifs, voire d’annulations de programmes cruciaux de recherche-développement à la fermeture d’organismes de recherche et d’entreprises de biotechnologie travaillant sur des diagnostics, des vaccins et des traitements. Au final, cela pourrait mener à des pertes de vies évitables.
La communauté mondiale de la santé doit tirer les leçons de la pandémie du COVID-19 et elle doit également agir pour lutter contre les infections résistantes aux médicaments. La COVID-19 nous a pris au dépourvu, et nous devons à présent nous préparer à la prochaine pandémie potentielle et aux prochaines infections résistantes aux médicaments.
Veiller à l’utilisation efficace des antibiotiques peut sauver des vies aujourd’hui et lors de futures épidémies. S’agissant de mieux comprendre le lien entre le COVID-19 et les infections bactériennes et mieux faire face à leur impact, il existe des mesures à prendre par les pouvoirs publics, les décideurs, les bailleurs de fonds et les organismes de recherche, dont les suivantes:
- Évaluer l’incidence des infections bactériennes secondaires, de l’utilisation des antibiotiques et de la pharmacorésistance sur la survie ou le décès des patients atteints du COVID-19;
- Protéger l’approvisionnement mondial en antibiotiques cruciaux dont les systèmes de santé ont besoin et l’accès à ceux-ci, en particulier tant que ces systèmes sont sous intense pression;
- Prioriser la mise au point de traitements contre les infections pharmacorésistantes. Il est essentiel que ces efforts soient soutenus durant cette période difficile et accélérés lorsque la pandémie s’apaisera.
Le COVID-19 est un appel fort à l’ensemble de la communauté mondiale de la santé. Il est évident qu’il faut investir davantage dans la santé publique et les systèmes de santé, ainsi que dans la recherche-développement collaborative. Les antibiotiques, pilier de notre capacité à faire face aux crises sanitaires, sont également menacés. De nouvelles interventions efficaces sont déjà nécessaires aujourd’hui, et cette demande ne fera qu’augmenter.
S’il y a d’ores et déjà des leçons à tirer de la pandémie de maladie du coronavirus (COVID-19), l’une d’entre elles est que trop de décisions politiques reposent sur une réflexion à court terme qui fait fi des lois de la nature.
C’est précisément pour cela que le Partenariat mondial sur la recherche-développement en matière d’antibiotiques (GARDP), un organisme sans but lucratif qui dont l’objectif est de développer de nouveaux traitements contre les infections résistantes aux médicaments, est convaincu que sa mission est plus importante que jamais. C’est la raison pour laquelle nous avons élaboré une stratégie de continuité des activités avec nos partenaires, afin de garantir que nous pourrons atténuer autant que possible les effets du COVID-19 et accélérer nos activités lorsque la situation le permettra.
En favorisant les partenariats entre les secteurs public et privé, GARDP est mieux placée pour accélérer la mise au point de traitements cruciaux, accessibles de manière durable et responsable.
Tout comme le COVID-19, la résistance aux antibiotiques est une crise de sécurité sanitaire qui se meut en silence au sein des populations et ne connaît pas de frontières. Aucun pays, entreprise ou organisation ne peut combattre seul la résistance aux médicaments. Cette lutte ne peut être menée qu’en partenariat. Nous devons agir dès maintenant pour empêcher que les infections pharmacorésistantes deviennent la prochaine situation d’urgence sanitaire mondiale. Les gouvernements doivent prendre des mesures afin d’accélérer la mise en œuvre des interventions nécessaires, dont la mise au point de nouveaux traitements contre les infections bactériennes.
Références:
- Zhou F, Yu T, Du R, Fan G, Liu Y, Liu Z et al., Clinical course and risk factors for mortality of adult inpatients with COVID-19 in Wuhan, China: a retrospective cohort study. Lancet. 2020;395(10229):1054-1062.
Manica Balasegaram, médecin britannique, est le Directeur exécutif du Partenariat mondial sur la recherche-développement en matière d’antibiotiques, basé à Genève.